La parole dans la culture chinoise
Par Emmanuel Lincot, responsable du Pôle Eurasie à l’Institut Vaugirard, directeur du master Stratégies Muséales -FDL-ICP
La parole est fonctionnelle donc réversible.
Si elle permet de hiérarchiser les fonctions par l’énumération des titres – dans le cadre d’un protocole auquel on attache une importance extrême – en revanche, elle ne nous renvoie jamais au sujet, à l’essence d’une personne. La parole est labile. Il serait fort imprudent de lui accorder un crédit définitif. Puisque nul ne cherche à travers elle d’accéder à la vérité – toute relative au demeurant – il ne peut y avoir de « parole donnée ». On l’accorde aux plus crédules, aux hommes de peu. Aux barbares, disait-on, dans la Chine impériale.
En revanche, ce qui fait l’homme – cela va sans dire – c’est bien l’accomplissement de ses devoirs envers sa famille ( élargie : celle de ses employés dans le cadre d’une entreprise ), ses parents, ses enfants ( « spirituels » s’entend également et dans ce cas, l’enseignant est souvent le substitut du père) mais aussi son Empereur hier et aujourd’hui, sa patrie. Plus fondamentalement, ce principe du devoir rejoint celui de l’autorité.
Un homme qui fait autorité est avant tout un homme de devoir.
Cette notion d’autorité – qu’on ne saurait confondre avec l’exercice de la force (relisons à ce titre Alexandre Kojève…) – procède, dans le contexte chinois, à la fois par immanence et par expérience.
Ainsi – premier exemple – reconnaîtra-t-on l’autorité « naturelle » d’un grand patron non seulement à sa fermeté mais également au fait qu’il se soucie du bien-être de ses employés. Il y va de sa propre réputation ! De sa « face » (mian) ! Principe confucéen s’il en est qu’un Frédéric Le Play a appelé au XIXe siècle, et sans le préjugé négatif qu’on lui prête parfois aujourd’hui, le « paternalisme d’entreprise ».
L’autorité d’un Maître – second exemple – se reconnaît également à sa bienveillance, laquelle lui est reconnue là encore « naturellement », c’est à dire sans emphase, sans parlotte, ni louange flatteur parce qu’il aura su transmettre à ses disciples les fondements de son art. Et c’est bien ce que l’on attend avant tout de lui. Comme l’on attend de ses dirigeants sécurité, dignité et emploi…
Sans contrat ni serment, un consentement tacite opère alors dans ce rapport mutuel. Il reste profondément étranger aux principes du droit, du licite ou de l’illicite que l’on exprime dans nos sociétés de tradition Abrahamique d’une manière verbalisée et ce, sous le couvert de la Loi.