La décision à l’épreuve de l’autre
Dans un monde en transformation permanente, tant par l’impact des nouvelles technologies que par la mondialisation, les repères pour décider sont parfois faibles. L’incertitude grandissante livre chacun au doute et paradoxalement accentue l’injonction à décider. Le manager a à vivre et à assumer la tension délicate de la réactivité, du pragmatisme, de l’opérationnalité mais aussi de la prise de recul et l’analyse. Toute décision est une prise de risque et une responsabilité et lorsque tout s’interpénètre et que le réel n’est plus stable, c’est la notion même de décision qui est mis en question.
Nous avons tous plus ou moins intégré l’idée que décider était un processus de rationalisation des données, une sorte de « calcul » raisonné qui garantissait la mise en ordre des hommes et de l’organisation. Nous découvrons la limite de cette représentation, mais plus encore du risque qu’elle nous fait prendre. Décider dans un monde complexe et incertain renvoie au fait oublié qu’une décision est un processus de relation.
Au fond, lorsque le sol se dérobe, lorsque rien n’est certain, il n’y a pas d’autres choix que de s’en remettre à l’autre : à ce qu’il dit, ce qu’il vit, ce qu’il croit. Le décideur n’est plus le grand ordonnateur et calculateur du réel, celui qui sait et dit aux autres ce qui sera mais celui qui accompagne le mouvement de ce qui se déroule, là sous ses yeux, avec d’autres. C’est une autre posture qui se dessine, une posture éthique de la décision, celle de la confiance, de l’écoute et de l’humilité. Décider est un acte de relation managérial qui suppose un état d’esprit où l’exigence et la responsabilité riment avec ce que la sagesse grecque – que l’on appelle philosophie – appelait le Dialogue.
Dia-logos signifiant une traversée ensemble, un « à travers » la parole des autres. Socrate affirmait son ignorance et cherchait avec l’aide de son interlocuteur les réponses qui conviennent. Il ne savait pas, il cherchait dans les détours des interrogations et des doutes réciproques. Il trouvait ainsi l’accord sur ce qu’on pouvait dire et faire, là où ils en étaient. Une parole qui vaut décision. Comme une parole posée et donnée. En l’état. Sur fond de ce qui était possible de dire et de vivre. Une décision avec l’autre et jamais sans lui.
L’incertitude nous propose un retour aux sources, celles de la raison comme relation.
Marc Grassin