Poser la question de la représentativité réclame de se détourner au préalable de la lecture strictement politique et sociale pour la ramener à celle de l’attitude personnelle et du comportement. Pourquoi devrions-nous l’aborder sous l’angle de la psychologie personnelle et de la relation alors qu’ordinairement elle est appréhendée sous l’angle de la fonction ou du mandat reçu ? Parce que «l’art qui s’occupe de l’âme, je l’appelle politique » affirme Platon.

En dépassant les intérêts particuliers tout en les reconnaissant, le philosophe travaillait  à l’harmonie du corps social, chacun ayant une place reconnue dans l’économie générale de la cité. La segmentation des rôles (la cité idéale dans La République de Platon est constituée de trois classes : les gouvernants, les producteurs et les gardiens) constituait moins une hiérarchie qu’une complémentarité. Chacun avait à remplir sa fonction et ce excellemment.

C’est d’ailleurs le sens même de la notion de vertu (arete) : être excellent dans ce pour quoi on est fait. En ordonnant l’intérêt particulier à l’intérêt de l’ensemble, et l’ensemble au Bien, la cité pouvait devenir juste. Mais cette vertu suprême que Platon appelle « justice » est un combat qui ne se limite pas à une question de régulation sociale. Elle réclame un combat intérieur, une éthique propre à chacun pour « réaliser en l’âme la plus belle des harmonies ». Il n’y a pas de cité juste, si ses gouvernants ne le sont pas. C’est la raison pour laquelle le gouvernant est représenté, là encore idéalement par la figure du sage, celui qui par l’ascèse et le travail de la raison, se dégage de son propre intérêt. Si le sage « gère » la cité, s’il peut parler et décider en lieu et place de l’autre, c’est parce qu’il est un homme de bien. Lorsqu’il perd l’horizon du bien, l’homme est perdu et la cité avec. C’est la critique que Platon ne cessera de faire à la démocratie athénienne, livré aux sophistes et aux politiques qui ne représentent qu’eux-mêmes et leur propre intérêt dans un pragmatisme et un goût du pouvoir qui poussent à rompre avec l’exigence et la rigueur dues à la  «vérité ».

Nous sommes si éloignés de cette manière de penser que nous peinons à établir des corrélations entre l’ethos personnel et l’ethos politique. Les logiques de segmentation, de division du travail et de spécialisation, propres aux fonctionnements des sociétés contemporaines modernes, ont tendance à séparer ce qui relève de la manière d’être et de ce qui relève du faire social. Les sociétés modernes deviennent plus « fonctionnalistes » et moins «ontologiques».

La contractualisation des relations sociales exige même de se méfier des risques que l’affirmation du Bien peut faire courir. Ce découplage entre fonction et être pousse à oublier que diriger n’est pas une simple fonction technique mais aussi une fonction politique. Politique au sens d’avoir à gouverner, c’est-à-dire prendre des décisions, des orientations qui exige une « attention à » ce que cela produit pour les vivants humains et non-humains de l’écosystème.  Diriger, gouverner, assumer des responsabilités, représenter, tout cela nécessite un travail sur soi, un chemin personnel, une recherche de cohérence, de sens, de valeurs, une volonté chevillée au corps et cœur de la responsabilité de l’intérêt général.  

Est-ce à dire que l’exercice est spirituel ? En un certain sens il l’est, si l’on entend par spirituel le retour sur soi qui questionne sa relation aux autres et au monde et qui repositionne chacun dans l’intimité de son intériorité,  le sérieux d’une exigence de la cohabitation et d’interdépendance.  Parce que la responsabilité se reçoit plus qu’elle ne se décide, elle oblige à un chemin personnel, comme l’est toute vie, celle de l’exercice, de l’entraînement.

Dans le très beau mais complexe livre de Peter Sloterdijk, « tu dois changer ta vie », l’auteur rappelle que l’homme devient par et dans une vie en exercice. Nous sommes affirme-t-il de cette « planète des exerçants ». Exercice, cet autre nom pour l’ascèse, fait de retour sur soi, de relecture, de temps de pause, de répétition et surtout du désir profond  de ne pas se satisfaire de ce que l’on est ou croit être. 

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Un article de Marc Grassin – Dirigeant et co-fondateur de l’Institut Vaugirard Humanités et Management

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